Alors que la cession du groupe Opella par Sanofi au fond américain CD & R ulcère toute une partie de la classe politique, une entreprise française s’approche à grands pas de l’objectif de souveraineté sanitaire fixé par le gouvernement : bâtir une filière 100 % française. Sans jouir pourtant de l’attention de l’État, davantage intéressé par les géants pharmaceutiques que par la société toulousaine.
Tout est bien qui finit bien. Après dix jours de tensions politiques, le soufflé retomberait presque à propos de la cession par Sanofi de sa filiale Opella, commercialisant le Doliprane, au fond américain CD&R. Alors que la manœuvre ulcère la classe politique, il fallait vite se montrer intransigeant envers Sanofi. Pas question de brader la souveraineté sanitaire française ! L’État participera donc au capital d’Opella via Bpifrance, à hauteur toutefois de 1 à 2%, « pour être pleinement associé aux futures décisions de l’entreprise », selon Bercy. Et est même parvenu à décrocher de « solides » garanties.
En plus d’un maintien des emplois, des activités de R & D, d’une obligation d’abreuver le marché Français en paracétamol, le gouvernement obtient de Sanofi et de CD & R « le maintien de l’approvisionnement d’Opella auprès de fournisseurs et sous-traitants français ». À défaut, une pénalité pouvant atteindre 100 millions d’euros est prévue.
De quoi rassurer provisoirement, les craintes qui planent sur l’avenir de la relocalisation de la production de principe actif par Segens, permise par les commandes futures de Sanofi. Les deux entreprises étant liées par « un contrat de fourniture à long terme », argue-t-on.
Ouf ! Voilà le médicament préféré des Français sauvé, et les promesses de Macron tenues : une filière 100 % tricolore du médicament préféré des Français. Sauf qu’elle aurait existé même sans cette polémique, et même sans Sanofi. Notamment grâce à une petite entreprise toulousaine, qui intéresse moins le gouvernement : Ipsophène.
ENTREPRISE FRANÇAISE
Lancée en 2021, celle-ci ambitionne de produire le principe actif du Doliprane dès 2026 – soit la même année que Seqens, fournisseur futur de Sanofi. « Ipsophène est né justement parce que notre fondatrice ne concevait pas que la France soit confrontée à des pénuries de paracétamol en France, alors que ce n’est pas un traitement complexe à produire », raconte Jean Boher, président et cofondateur de l’entreprise.
Dès les débuts de la crise sanitaire, des tensions se sont effectivement fait sentir sur les volumes disponibles de traitements, paracétamol compris, poussant l’État à partir à la « reconquête de sa souveraineté sanitaire ».
Le lieu est rapidement choisi : un bâtiment pharmaceutique désaffecté, à quelques kilomètres du centre de Toulouse. Montant des investissements nécessaires pour réhabiliter l’usine de quelque 5,000 m2 : un peu plus de 30 millions d’euros, affirmait Ipsophène en février dernier à l’AFP. Pour lesquels Ipsophène peut compter sur l’État, puisque depuis 2020, Emmanuel Macron est donc en pleine conquête ? Que nenni.
Bercy se prévaut toutefois d’un soutien modique. « Ipsophène a été soutenu dans le cadre de l’appel à projets i-demo de France 2 030 pour des travaux de R & D sur les procédés de production », répond ainsi à Marianne le ministère de l’Économie. Pour rappel, l’État a en revanche investi plus de 30 millions d’euros dans le projet de relocalisation de la production du principe actif de Seqens. L’entreprise a aussi été soutenue financièrement par Sanofi et Upsa, deuxième commerçant de paracétamol en France, qui ont promis de lui passer commande.
Et combien de l’État pour Ipsophène, alors ? Si la somme précise que lui destine Bercy – qu’Ipsophène n’a pas encore reçue, et qui est le fruit d’une demande de l’entreprise – n’est pas connue, elle est inférieure à celle investie par la Région Occitanie.
Moins de 4,2 millions, donc. De fait, la Région dernière a, à l’inverse de l’État, abondé. Sur les 4,2 millions injectés au total, réunissant des avances remboursables, des prêts, 1,2 million d’euros ont été injectés dans le capital de l’entreprise via l’agence régionale des investissements stratégiques (ARIS). Ipsophène précise par ailleurs à Marianne être lauréat du plan de soutien à l’économie tricolore France 2030 depuis cet été, signe d’un soutien non négligeable de l’Etat.
UPSA EN SOUTIEN
Autre financeur et soutien : Upsa, principal concurrent de Sanofi. « Nous avons injecté 500 000 € dans le capital d’Ipsophène, justement pour accélérer la réintégration de la filière paracétamol en France », explique Laure Lechertier, directrice de l’accès au marché d’Upsa. « Puisqu’il est notre actionnaire, Upsa s’engage à se fournir auprès de nous », explique Jean Boher. Avec son Efferalgan et son Dafalgan, Upsa détient 22 % des parts de marché du paracétamol en France, derrière les 70 % de Sanofi : loin derrière, mais loin d’être insignifiant.
D’autant qu’Upsa a un autre avantage de taille : la totalité de ses boîtes de paracétamol commercialisées par Upsa sort de son usine d’Agen (Lot-et-Garonne). À un peu plus d’une centaine de kilomètres de Toulouse. «Les planètes étaient alignées », raconte Jean Boher. Une chaine de production, de A à Z, concentrée sur une seule région française ! De quoi réduire largement l’empreinte carbone du médicament, en limitant fortement le transport.
En matière d’environnement, Ipsophène vante de plus un processus de fabrication différent et « innovant », qui permettrait de réduire drastiquement les déchets polluants. « De 200 kg de déchet pour 1 kg produit, on passe à 5 ou 6 kg de déchets qui sont en plus en grande partie valorisables », assure Jean Boher.
« Surtout, 100 % de notre matière première provient de France ou d’Europe, et toutes les étapes ont lieu en France », continue le fondateur. Est-ce le cas du côté de Segens, ou l’autre futur producteur tricolore du principe actif s’approvisionne-t-il en matière première en dehors de nos frontières ? Un connaisseur anonyme assure que la matière première de Segens sera d’être importée de Chine même après 2026. Sollicitée, Segens n’a pas donné de précision sur ce point.
QUESTION DE TAILLE
Qu’importe. « Le gouvernement a poussé Opella et Upsa à soutenir Seqens, en échange d’un moratoire sur les prix des médicaments », lance notre connaisseur de la production de paracétamol. De fait, s’approvisionner en France représente un surcoût que les laboratoires
voudraient voir compenser par une augmentation du prix fixé par la Sécu. « La production d’une boite revient à 76 centimes, prix qui serait forcément augmenté en s’approvisionnant en France: cela ne suffit pas pour soutenir la relocalisation », argue Upsa. Une revendication cohérente, donc… Sans que cela impose de privilégier Seqens à Ipsophène.
Alors, pourquoi une telle différence de traitement entre Sanofi, Seqens, et Ipsophène ? « Il s’agit de projets d’ampleurs différentes, ne mobilisant pas les mêmes types d’investissements et donc pas les mêmes régimes d’aides, les situations ne sont donc pas comparables », argue Bercy.
De fait, Ipsophène prévoit d’atteindre fin 2026 une capacité de production de 4 000 tonnes de paracétamol par an, contre 10 000 pour Seqens. Moindre, certes, mais nul doute qu’en plus de ses clients européens, Ipsophène pourrait tout de même abreuver une part non négligeable de la consommation française, qui avoisine 7 000 à 8 000 tonnes par an. Peut-être est-ce surtout le refus de se mettre à dos Big pharma qui motive le gouvernement. La cession de la moitié d’Opella à CD & R pourrait avoisiner les 8 milliards d’euros.
Par Margot Brunet
Publié le 23/10/2024 à 10:00
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